La fusion entre La Ruche qui dit Oui et CrowdFarming est l’opération majeure qui redessine le paysage de la distribution alimentaire en circuit court en Europe. Annoncée en septembre 2025, cette alliance stratégique crée le plus grand réseau européen de vente directe entre producteurs et consommateurs, réunissant plus de 10 000 agriculteurs et 1,5 million d’utilisateurs dans 30 pays. Ce rapprochement marque un tournant décisif pour l’avenir de l’agriculture locale et des circuits courts alimentaires, combinant le modèle des ruches de distribution locale avec la livraison à domicile de produits bio.
Qu’est-ce que la fusion La Ruche qui dit Oui – CrowdFarming ?

Une acquisition stratégique plus qu’une fusion
La fusion LRQDO CrowdFarming s’apparente en réalité à un rachat : CrowdFarming devient l’actionnaire unique de La Ruche qui dit Oui (LRQDO). L’opération, conclue en avril 2025 mais dévoilée publiquement en septembre, unit deux pionniers complémentaires de la vente directe alimentaire en Europe.
Philippe Crozet, directeur général de La Ruche qui dit Oui, a confirmé que cette alliance vise à bâtir la chaîne d’approvisionnement alimentaire la plus équitable et durable d’Europe. L’objectif affiché : permettre à tous les consommateurs d’acheter leur nourriture directement auprès des agriculteurs locaux à un prix compétitif.
Les chiffres clés de l’alliance
| Indicateur | La Ruche qui dit Oui | CrowdFarming | Ensemble |
|---|---|---|---|
| Volume d’affaires 2024 | 25 M€ | 65 M€ | 100 M€ |
| Nombre de producteurs | 10 000 agriculteurs inscrits | 350 fermes | 10 000+ |
| Consommateurs | 800 ruches en Europe | 500 000 clients | 1,5 M utilisateurs |
| Pays couverts | 6 pays européens | 30 pays | 30 pays |
| Employés | ~200 | ~70 | 270 salariés |
Cette nouvelle entité devient ainsi le leader incontesté du circuit court digital en Europe, dépassant largement tous les acteurs du secteur en termes de couverture géographique et de base d’utilisateurs.
Pourquoi La Ruche qui dit Oui a fusionné avec CrowdFarming ?
Les difficultés structurelles de La Ruche qui dit Oui
La Ruche qui dit Oui, fondée en 2011 par Guilhem Chéron, Marc-David Choukroun et Mounir Mahjoubi (ex-secrétaire d’État au Numérique), traversait une période économiquement difficile. Plusieurs facteurs expliquent ce rachat :
Pertes financières chroniques : L’entreprise n’a jamais atteint l’équilibre financier en 15 ans d’existence. Les pertes cumulées dépassaient 2,5 millions d’euros dès 2014-2015, avec une perte nette de 916 846 euros en 2019 pour seulement 5,86 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Impact post-Covid : Après un boom pendant la pandémie (50 000 nouveaux clients en deux mois, panier moyen doublé), l’inflation et le retour aux habitudes de consommation ont frappé durement. Les consommateurs ont délaissé les produits locaux, souvent perçus comme trop chers dans un contexte inflationniste.
Fermetures et restructurations : En 2023, sous la nouvelle direction de Philippe Crozet et Adrien Sicsic, La Ruche a fermé ses six boutiques physiques ouvertes seulement deux ans plus tôt en région parisienne, entraînant le licenciement de 60 salariés. Le service de livraison à domicile avait déjà été arrêté en 2022.
La force de frappe de CrowdFarming
CrowdFarming, cofondée en 2018 par Gonzalo et Gabriel Úrculo (producteurs espagnols d’oranges) et Juliette Simonin, présente un profil bien plus solide :
- Croissance continue : 65 millions d’euros de volume d’affaires en 2024
- Modèle éprouvé : Livraison à domicile optimisée avec une logistique bien rodée
- Innovation : Concept d’adoption d’arbres permettant de financer les exploitations agricoles
- Engagement fort : Programmes de transition vers l’agriculture biologique régénérative
- Présence allemande : Deux tiers des 625 000 clients se trouvent en Allemagne (sous la marque Marktschwärmer)
Comment fonctionne le nouveau modèle après la fusion ?

Coexistence des deux systèmes de distribution
Les deux modèles vont continuer d’exister en parallèle tout en bénéficiant de synergies opérationnelles :
Le modèle La Ruche qui dit Oui (maintenu) :
- Distribution hebdomadaire locale dans les ruches existantes
- Retrait en point de collecte à jour et heure fixes
- Gestion par les responsables de ruche (auto-entrepreneurs)
- Contact direct entre producteurs et consommateurs
- Commission de 20% partagée entre la plateforme et le responsable de ruche
- 80% du prix revient aux producteurs
Le modèle CrowdFarming (étendu) :
- Livraison à domicile dans toute l’Europe
- Produits récoltés à la demande pour éviter le gaspillage
- Système d’abonnements et d’adoption d’arbres
- Logistique optimisée pour réduire l’empreinte carbone
- Focus sur les produits bio et l’agriculture régénérative
Les ponts entre les deux plateformes
Philippe Crozet a précisé que les producteurs de La Ruche pourront accéder :
- Aux technologies de CrowdFarming pour optimiser leur logistique
- À un réseau de distribution élargi (30 pays)
- Aux programmes de transition vers l’agriculture biologique
- À la plateforme de livraison pour proposer leurs produits à domicile
Le service de livraison testé par La Ruche qui dit Oui disparaîtra progressivement au profit de l’offre CrowdFarming, mais sous la marque LRQDO pour maintenir la cohérence de l’identité.
Quels changements pour les consommateurs ?
Les avantages du nouveau réseau
Plus de choix et de flexibilité : Les membres des ruches conservent leur mode d’achat habituel tout en ayant accès à l’offre CrowdFarming pour des produits non disponibles localement ou pour se faire livrer à domicile.
Maintien du lien social : Les distributions hebdomadaires dans les ruches continuent, préservant le contact direct avec les producteurs. Cette dimension sociale, essentielle à l’ADN de La Ruche qui dit Oui, reste au cœur du dispositif.
Variété élargie : Accès aux 350 fermes partenaires de CrowdFarming, spécialisées notamment dans les agrumes, fruits et légumes bio espagnols, italiens et européens.
Options de livraison : Possibilité de choisir entre :
- Retrait en ruche (modèle historique)
- Livraison à domicile via CrowdFarming
- Formules d’abonnement pour une livraison régulière
Les risques potentiels à surveiller
Augmentation des prix : La nécessité de rentabiliser l’ensemble pourrait conduire à des hausses tarifaires, notamment sur la livraison à domicile.
Fermetures de ruches : La restructuration en cours pourrait entraîner la fermeture de ruches peu rentables dans les zones rurales ou moins denses.
Dilution du lien local : Le passage progressif vers un modèle de livraison à domicile européen risque d’éroder le contact direct producteur-consommateur qui fait la force du concept de ruche.
Standardisation : Un risque d’uniformisation des pratiques au détriment de l’ancrage territorial et de la spécificité de chaque ruche.
Quels avantages pour les producteurs agricoles ?
Un double canal de distribution
Les 10 000 agriculteurs du réseau combiné bénéficient désormais de :
Accès au marché local ET européen :
- Vente en ruche locale pour les produits frais et de saison
- Possibilité de livraison à domicile dans toute l’Europe pour certains produits
- Mutualisation des coûts logistiques grâce aux tournées optimisées
Meilleure rémunération :
- 80% du prix de vente revient aux producteurs (versus 6% en grande distribution)
- Fixation libre des prix par les agriculteurs
- Production à la commande limitant les invendus et le gaspillage
Accompagnement vers la transition :
- Programmes de formation à l’agriculture régénérative
- Soutien technique et financier via le système d’adoption d’arbres
- Partage de bonnes pratiques entre les 10 000 producteurs du réseau
Les défis pour les agriculteurs
Complexité accrue : Gérer deux canaux de distribution (ruches + livraison) peut représenter une charge administrative supplémentaire pour les petits producteurs.
Concurrence interne : Avec 10 000 agriculteurs sur la même plateforme, la visibilité de chacun pourrait diminuer, notamment pour les petits producteurs face aux plus structurés.
Dépendance à la plateforme : L’intermédiation via CrowdFarming/LRQDO crée une dépendance technologique et commerciale qui peut limiter l’autonomie des producteurs.
L’avenir du réseau de ruches après la fusion
Consolidation et professionnalisation
La nouvelle direction annonce une stratégie de consolidation plutôt que d’expansion massive :
- Renforcement des ruches existantes plutôt qu’ouverture de nouveaux points
- Professionnalisation des responsables de ruche avec formation et outils améliorés
- Meilleure intégration technologique entre les plateformes
- Optimisation logistique pour réduire les coûts et l’impact environnemental
Le défi de la rentabilité
Le modèle des ruches locales n’a jamais été rentable à grande échelle. La commission de 20% doit couvrir :
- Les coûts de développement et maintenance de la plateforme
- Le support aux responsables de ruche et producteurs
- Les coûts marketing et de communication
- La structure administrative
L’apport de CrowdFarming pourrait permettre de mutualiser certains coûts (technologie, marketing, administration) et d’atteindre enfin l’équilibre économique.
Comparaison avec les autres modèles de circuit court
La Ruche qui dit Oui / CrowdFarming vs AMAP
| Critère | Fusion LRQDO-CrowdFarming | AMAP |
|---|---|---|
| Rémunération producteur | 80% du prix de vente | 100% du prix de vente |
| Engagement | Achat ponctuel | Engagement à l’année + avance de trésorerie |
| Choix des produits | Libre chaque semaine | Panier imposé |
| Flexibilité | Très flexible | Peu flexible |
| Livraison | Possible (CrowdFarming) | Retrait uniquement |
| Intermédiation | Plateforme digitale | Direct sans intermédiaire |
| Prix | Variable, parfois +20% | Prix au plus juste |
Forces du nouveau modèle unifié
- Échelle européenne inégalée dans le circuit court
- Double option retrait/livraison selon les besoins
- Technologie avancée pour faciliter les commandes
- Variété de produits supérieure aux AMAP
- Flexibilité maximale pour les consommateurs
Faiblesses persistantes
- Commission de 20% qui réduit la part du producteur
- Précarité des responsables de ruche (statut d’auto-entrepreneur)
- Modèle économique fragile malgré la fusion
- Risque de « plateformisation » avec ses dérives (dépendance, ubérisation)
Impact sur l’agriculture biologique et régénérative en Europe
Un levier pour la transition agricole
CrowdFarming place l’agriculture régénérative au cœur de sa mission. Cette approche va au-delà du bio en visant la régénération des sols, la biodiversité et la séquestration carbone.
Les programmes de transition proposés incluent :
- Accompagnement technique des agriculteurs
- Formation aux pratiques régénératives
- Financement participatif via l’adoption d’arbres
- Valorisation premium des produits issus de ces pratiques
Avec 10 000 agriculteurs potentiellement concernés, l’impact pourrait être significatif sur la transition agricole européenne.
Les limites du modèle pour transformer l’agriculture
Malgré les ambitions affichées, plusieurs contraintes limitent l’impact :
Échelle réduite : 10 000 producteurs représentent une infime partie des agriculteurs européens (environ 9 millions d’exploitations dans l’UE).
Sélection naturelle : Seuls les agriculteurs déjà sensibilisés au bio et capables de gérer la vente directe rejoignent ces plateformes.
Prix élevés : Les produits bio et régénératifs restent plus chers, limitant l’accès aux consommateurs aisés et perpétuant une agriculture à deux vitesses.
Questions fréquentes sur la fusion LRQDO-CrowdFarming
Les ruches vont-elles disparaître ?
Non, les 800 ruches existantes sont maintenues. Le modèle de distribution locale reste le cœur de l’offre La Ruche qui dit Oui. Cependant, certaines ruches peu rentables pourraient fermer lors de la restructuration.
Les prix vont-ils augmenter ?
La fusion pourrait permettre des économies d’échelle sur la logistique et la technologie, ce qui pourrait stabiliser voire réduire certains coûts. Toutefois, la pression à la rentabilité pourrait aussi conduire à des ajustements tarifaires à la hausse.
Puis-je commander des produits CrowdFarming via ma ruche ?
La passerelle entre les deux systèmes est en cours de développement. À terme, les membres des ruches pourront commander des produits CrowdFarming, notamment pour compléter leur panier avec des produits non disponibles localement.
Quel avenir pour les responsables de ruche ?
Le statut des responsables de ruche ne change pas immédiatement. Ils restent auto-entrepreneurs avec une rémunération basée sur les commissions. La fusion pourrait apporter de meilleurs outils et formations, mais la précarité structurelle du statut demeure une problématique non résolue.
La qualité des produits sera-t-elle maintenue ?
Les deux plateformes partagent un engagement fort pour la qualité et le bio. CrowdFarming apporte même une dimension supplémentaire avec l’agriculture régénérative. Les critères de sélection des producteurs devraient rester exigeants.
Conclusion : une consolidation nécessaire mais incertaine
La fusion entre La Ruche qui dit Oui et CrowdFarming marque une étape majeure dans la structuration du marché européen des circuits courts. Cette alliance crée un acteur de poids face à la grande distribution, avec une couverture géographique inédite et une base de 1,5 million d’utilisateurs.
Pour les consommateurs, c’est l’opportunité de combiner les avantages du local (lien social, fraîcheur) et du digital (commodité, choix élargi). Pour les producteurs, un double canal de distribution et un accompagnement vers des pratiques plus durables.
Néanmoins, les défis structurels demeurent : rentabilité économique fragile, précarité des responsables de ruche, tension entre échelle européenne et ancrage territorial. Le succès de cette fusion dépendra de la capacité à préserver l’ADN local de La Ruche tout en bénéficiant de l’expertise logistique de CrowdFarming.
L’avenir du circuit court alimentaire en Europe s’écrit désormais à travers cette alliance. Une expérimentation à suivre de près pour tous ceux qui croient en une agriculture plus juste, plus durable et plus transparente.